dimanche 26 octobre 2014

Pas de saison pour l'Enfer

Titre original: Liquor, Guns & Ammo
Auteur: Kent Anderson
Maison d'édition française: 13eme Note
Date de publication:1998 aux USA, 2013 en France
Nombre de pages: 330


Un recueil de textes par un auteur aux multiples vies, qui nous les raconte sous forme d'instantanés.

Kent Anderson fait partie de ces gens dont on peut dire qu'ils ont tout vécu. Né en 1945, il grandira en Caroline du Nord. Il s'engage dans la Marine Marchande à 19 ans, histoire de voir le monde. Pacifique, Méditerranée, il voyage pendant deux avant que la guerre du Vietnam n'éclate. Il s'engage alors dans l'US Army. A 23 ans il est sergent dans les Forces Spéciales. Après un service qui le marquera profondément toute sa vie, il retourne à la vie civile dans un état psychologique instable. Il se reconverti dans la police d'abord à Portland, ensuite à Oakland. Il y passera l'essentiel des années 80. Ensuite, il sera brièvement professeur d'anglais à l'université du Montana, où il suivra un cursus d'écriture. Il publiera son premier roman, Sympathy For The Devil, en 1993 suivi de Chiens de la Nuit en 1998. Tous sont des œuvres autobiographiques décrivant son expérience au Vietnam (considéré comme un des plus grands livres écrits sur le sujet) pour la première et ses années dans les forces de l'ordre pour la seconde. Un troisième, Green Sun, est en cours d'écriture.Il a aussi bossé pour Hollywood en écrivant neuf scénarios de films qui n'ont jamais été tournés (trop noirs et radicaux).


Publié sous le titre Liquor, Guns & Ammo aux Etats-Unis, ce livre est donc un recueil de textes très variés, touchant à plusieurs registres mais qui ont pour principal point commun d'être issus de la vie de leur auteur. La version française a été largement remaniée. Il comportait originalement un scénario de plus de cent pages, intitulé Shank, qui serait difficile à traduire de manière satisfaisante voire lisible pour un public français. Pour compenser, de nombreux inédits (une vingtaine) ont été inclus. Et tant mieux!! C'est presque un autre ouvrage qui nous est proposé. Il faut dire qu'Eric Vieljeux (le patron des éditions 13eme Note) a fait le déplacement sur place pour rencontrer Anderson. Alors, qu'en est-il de cet ouvrage? Et bien c'est une des odyssées littéraire les plus fortes que l'on puisse trouver en libraire, à mon humble avis. Le livre est divisé en trois parties: Totems, Vietnam et Loi et Hors-là-loi. Chacune correspond à des thématiques précises, propres à l'auteur. A ce stade, il convient de préciser que son passage au Vietnam a fait d'Anderson une machine à tuer difficilement contrôlable qui doit lutter constamment contre lui-même. La guerre est le seul prisme à travers lequel il envisage le monde qui l'entoure. L'écriture et la nature sont ses bouées de sauvetage, ses obsessions qui lui permettent de préserver une faible étincelle d'humanité au milieu de l'océan de noirceur dans lequel il se débat...


La première partie se focalise sur le nature writing (un style littéraire typiquement américain qui se focalise sur la nature, le monde animal et les rapports que l'Homme entretien avec ses derniers, comme son nom l'indique). Il sera question de corridas, de combat de coqs, de vie paisible aux côtés des chevaux et de chasse au loup en Mongolie. Les défenseurs de la cause animale seront sûrement scandalisés par la crudité de certains de ces textes mais il faut leur reconnaître un aspect particulièrement viscéral et presque épique. D'autant plus que les réminiscences du Vietnam interviennent de manière abrupte. Mention spéciale au combat de coq, assez hardcore. Mais on peut y voir une lecture intéressante sur la nature de l'Homme, bien moins saine que celle des animaux selon Anderson. La chasse au loup pourrait sembler ultra cruelle (l'auteur y prenant part là où il était plus généralement spectateur) mais on parle de la Mongolie, un pays où les loups sont plus nombreux que les hommes, cette chasse prend une dimension rituelle. Un texte sort du lot en narrant le trajet en voiture d'un Anderson complétement borderline et chargé aux amphèts, effrayant.


La deuxième partie, Vietnam, nous raconte donc son expérience militaire, l'avant, l'après et même certaines conséquences sur la société américaine. On y voit ainsi des articles au sujet d'une convention de mercenaires, d'un rassemblement d'extrême-droite (néo-nazis, Kux Klux Klan...) tout autant que des récits centrés sur la guerre qui donne son nom à cette partie du livre, dont des chutes inexploitées de Sympathy. Il y a une large part d'introspection dans ces petits textes, Anderson interroge son rapport à sa propre expérience tout autant qu'il nous questionne sur notre vision des conflits. Les deux premiers textes sur les mercenaires et les activistes d'outre-droite font particulièrement froid dans le dos (on y voit notamment un gamin de douze ans armé et looké comme le Führer). Encore une fois, on s'en prend plein les dents et les conventions et le politiquement correct au sujet de la guerre sont totalement absents.



Nous voici donc dans le dernier tiers de l'ouvrage: Loi et Hors-là-loi. Là encore, divers écrits. Un article sur le fameux rassemblement annuel des bikers à Sturgis (prétexte pour se rendre au cimetière militaire local), une préface à Trips (un livre sur la drogue...) des textes sur sa vie quotidienne de policier et un témoignage de son travail à Hollywood aux côtés de John Milius (réalisateur de Conan le Barbare, scénariste d'Apocalypse Now et Dirty Harry...). Oui, vous avez bien lu...Bref, encore une fois, de la noirceur et de la brutalité, mais le contexte change, les villes et les studios de cinéma remplacent la jungle et les décors naturels et la menace est domestique, omniprésente. C'est du moins l'impression qui s'en dégage.

John Milius sur le tournage de Conan le Barbare (1982)


Il s'agit d'un ouvrage bien plus dense qu'il n'y paraît de prime abord, ses 330 pages étant particulièrement riches en situations extrêmes et en punchlines surréalistes: ''La mort se baladait dans la maison. Par curiosité, c'est tout'', j'y étais de nouveau [au sujet du Vietnam] et je me devais de ramener des histoires.... On y trouvera une écriture exigeante, au service d'une vision honnête, sincère du monde, quitte à en devenir brutale...Car c'est l'objectif de l'auteur qui se présente ainsi: ''Je ne suis qu'un passager parmi d'autres,à la seule différence que moi j'ai les mots pour l'écrire. C'est mon boulot''. Le côté fragmentaire et instantané des textes nous donne l'impression de fair eun tour dans la tête de l'auteur, ce qui rend le livre encore plus prenant et immersif. Un grand livre sur la monstruosité humaine et comment on doit lutter constamment pour s'en préserver.

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