
Titre original: I'll Never Get Out Of This World Alive
Auteur: Steve Earle
Maison d'édition française: L'Ecailler
Date de publication: 2011
Nombre de pages: 257
1963: Doc est un médecin défroqué que les errances ont fini par amener à San Antonio, Texas et qui partage sa vie entre fix d'héroïne et avortements clandestins. Il est hanté par le fantôme de Hank Williams, la légende de la country, à qui il a administré une dose létale de morphine dix ans plus tôt. Un jour, une jeune mexicaine débarque dans son ''cabinet'' et bouleverse le cours de son existence.

Alors, que penser de ce bref roman écrit par un musicien? et bien ma foi, c'est une œuvre des plus intéressante. Le contexte est assez important, car utilisé de façon inhabituelle. Le début des années soixante est souvent présenté comme une période d'insouciance avec le flower power à son apogée et l'émergence de nouvelles idées de liberté émancipatrices dans les sociétés occidentales. Il n'en est rien ici, le livre prenant place dans un quartier mal famé de San Antonio. En fait, sans les rappels historiques (la visite du couple Kennedy dans la ville puis l'assassinat de John) on pourrait croire que cette histoire nous est contemporaine tant elle respire le marasme et la perdition que l'on rattache aux années 90 avec l'arrivée des drogues dures dans les rues.
On suit donc la trajectoire du mystérieux Doc (dont le nom ne sera dévoilé que très rapidement, sans que cela semble avoir la moindre importance) héroïnomane et accroc à la morphine et qui, pour assouvir ses vices auprès de son dealer Manny, se livre à des opérations et autres traitements médicaux clandestins auprès de la faune locale. Prostitué(e)s, dealers, petites frappes, tout le monde défile dans la pension qu'il loue auprès d'un couple lesbien (vous l'avez pas vue venir celle-là hein!?), que ce soit pour se faire retirer une balle, traiter ses MST ou encore interrompre une grossesse non désirée...On croise donc pas mal de personnages fort peu recommandables qui constituent un petit microcosme détraqué mais fort intéressant. Car là où certains se seraient contentés d'une approche clichée ou sociologique très clinique, Earle en fait des êtres humains tout en contrastes et en ambiguïté. Il éprouve un certain attachement envers ces loosers perdus sur le bord des routes les plus solitaires, ayant lui même été du nombre. Du coup, cette galerie, peu ragoutante au départ, devient très vite attachante et l'on se prend à espérer une issue positive, malgré le titre sans appel. Le langage employé est cru et pourtant, il est souvent le moteur d'une certaine pudeur.
Malgré toute la noirceur qui se dégage de cet univers, l'espoir n'est pas totalement absent, il est même personnifié par le personnage de Graciela. Jeune immigrée clandestine abandonnée par son caïd d'amant entre les sales pattes de ce bon docteur, elle va progressivement s'intégrer à cette communauté malsaine et y apporter une forme de paix et de sérénité. A tel point que l'on finira par croire son nom prédestiné et ses actions miraculeuses...Notamment un prêtre aussi opiniâtre que borderline. Sa relation avec Doc est assez bien amenée et se détache des amourettes conventionnelles.

On est donc ballotés entre des sentiments contradictoires et souvent bouleversés par la profonde humanité qui se dégage du récit, nous montrant l'envers du décor d'une Amérique rutilante, non pas tant pour dénoncer particulièrement (le racisme et l'influence néfaste de religieux complètement détachés de la réalité entre autres) mais plutôt pour raconter une bonne histoire. Les tons et les genres se mêlent subtilement et efficacement, entre drame et fantastique, roman noir et musical, southern gothic et polar. Le final, assez poignant, est à l'image du roman dans son entier, évitant les poncifs, le mélo et le pathos. On serait donc bien en peine de classer ce livre dans une catégorie précise et c'est tant mieux!! Tout juste peut on dire qu'il est à l'image de son auteur, un homme entier mais tout en contrastes...
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