dimanche 14 décembre 2014

World War Z



Auteur: Max Brooks
Maison d'édition française: Calmann-Lévy
Date de publication: 2006 aux USA, 2009 en France
Nombre de pages: 430


Un journaliste est engagé par l'ONU pour recueillir les témoignages de survivants d'un conflit mondial dû à une épidémie. Cette dernière ''réanime'' les morts et en fait créatures pourrissantes et assoiffées de sang...

Max Brooks est, comme son nom l'indique, le fils de Mel Brooks (La Folle Histoire de l'Espace, Frankenstein Jr...). Né en 1972, il est surtout connu pour avoir participé à l'écriture du célèbre late show Saturday Night Live ainsi que pour avoir doublé des personnages dans des séries d'animation (Batman, Justice League). Mais en 2005, les choses changent. Il publie un premier livre en lien avec les zombies, le bien nommé Guide de survie en territoire Zombie. L'année suivante le voit continuer dans la même veine avec l'ouvrage qui nous intéresse: World War Z, qui sera adapté au cinéma en 2013.



Alors, qu'est ce qui différencie World War Z du reste de la production littéraire et culturelle tournant autour de nos amis les morts-vivants? Tout d'abord, sa narration. Le fait de fonctionner comme un recueil d'interview se déroulant après les faits est assez nouveau. Le procédé épistolaire ayant connu son âge d'or au XIXème, il est intéressant de le voir associé à un contexte assez moderne. On suit donc le journaliste à travers le monde, à la rencontre de personnages divers et variés. Responsables politiques, militaires, scientifiques, gens du commun...toute sorte de personnages évoluent dans ces pages. Bien que la majorité soient américains, on voit quand même du pays (Inde, Corée, Canada, France...). Tous ont en commun d'avoir participé au plus grand conflit de l'Histoire humaine, la guerre des zombies. Il n'y a donc pas de héros mais un fil rouge (le journaliste, sur lequel on ne sait pas grand chose) et des personnages lui contant leur histoire. Le fait d'avoir affaire à des témoignages rend l'intrigue extrêmement concrète, les points de vue multiple permettant de donner une sensation de densité étonnante. 


On a clairement affaire à une œuvre qui fourmille de détails et dont le statut oral (inspiré par La Bonne Guerre de Studs Terkel, ouvrage culte Outre-Atlantique) permet d'instaurer un réalisme ahurissant. Brooks a pensé basiquement à a peu près tout. Les détails sont légion, il y a même un petit vocabulaire lié au conflit qui le rend diablement vivant. L'auteur arrive à parfaitement gérer les échelles qui vont de l'individuel au plus épique en étant toujours centré sur l'humain. L'humain qui est, plus encore que les zombies, le cœur du propos. On y voit le pire et meilleur, le plus net et le plus ambigu au sujet des personnages. On parle quand même d'une guerre mondiale avec des zombies, personne ne l'avait jamais fait ça (même Romero, bien que crédité comme source d'inspiration, évidemment) !! On a même un aspect post-apocalyptique puisque le le narrateur évolue dans un monde qui a surmonté la crise, en en sortant complètement changé (la Chine est devenue une démocratie, Cuba est la première puissance mondiale...). Tout sonne vrai, chaque mot, chaque situation, des premiers symptômes de l'épidémie jusqu'à la reconquête progressive du monde en passant par les mouvements de panique. Tout semble être fait pour qu'on y croit, qu'on s'immerge dans le récit sans aucune retenue, tantôt terrifié, tantôt amusé ou révolté...Il y a tant à dire sur chaque chapitre, on pourrait réaliser un film par segment de ce livre!!

Une vue d'artiste d'une bataille décrite dans le livre
En parlant de film...vous aurez sûrement remarqué que je n'ai pas parlé de l'adaptation cinématographique. Plusieurs raisons à ça (c'est un blog sur la littérature, pas le cinéma, pas de temps avec ces conneries...) mais sachez simplement que Brooks a totalement renié le métrage considérant que celui-ci n'avait de commun avec son livre que le titre... Allez, comme je suis de bonne humeur et qu'une image est mieux qu'un long discours:


Le livre a clairement un aspect viscéral et anxiogène très fort qui peut s'expliquer par le contexte dans lequel il a été écrit, très difficile d'après l'auteur (maladie, problèmes familiaux). On le sent clairement et certains passages sont assez durs, pas seulement en termes de gore mais aussi à un niveau plus intime. En effet, les instantanés qu'il nous livre sont assez forts et nous touchent parfois de manière inattendue. A ne pas mettre entre toutes les mains, donc. Mais tout cela est au service d'un sous-propos intéressant, critique des gouvernements et de notre société actuelle, de l'absurdité du monde que nous avons fait nôtre...Et ça fait mouche à de nombreuses reprises.
L'autre ouvrage de Brooks sur le même thème, chaudement recommandé
En conclusion, il s'agit clairement d'une des œuvres les plus inventives du revival zombie que l'on vit (huk huk) depuis une grosse dizaine d'années. Elle mérite clairement son statut culte de par son intelligence et sa capacité à transcender les codes d'un genre très balisé. Un petit chef-d'oeuvre apocalyptique et humain.

mercredi 3 décembre 2014

Bloodsilver

Auteurs: Wayne Barlow a.k.a Xavier Mauméjean et Johan Héliot
Maison d'édition française: Mnémos
Date de publication:2006
Nombre de pages: 339

Une histoire alternative des Etats-Unis qui voient immigrer sur leur sol des créatures de la nuit tout droit sorties des cauchemars de la Vieille Europe...



Bloodsilver est un livre particulier pour de multiples raisons. La première étant sans doute que le nom de l'auteur mis en avant sur la couverture (par ailleurs très belle) n'est qu'un nom de plume pour deux célèbres auteurs ''de genre'' français: Xavier Mauméjean et Johan Héliot. Tous deux ont touché à de nombreux genres et se sont taillés une belle réputation sur la scène de la littérature d'imaginaire.

Johan Héliot
Xavier Mauméjean
















Le deuxième point qui fait de leur ouvrage commun un ouvrage peu commun (huk huk) c'est précisément le genre auquel il appartient: l'uchronie. Mais quel est donc ce mot barbare? Signifiant littéralement temps qui n'existe pas, l'uchronie est une sorte d'exercice à la fois stylistique et intellectuel qui prend l'Histoire telle qu'on la connaît et la modifie, les conséquences de ces modifications étant le cœur du récit, une sorte de ''et si?'' littéraire en somme. Un exemple d'uchronie que vous avez du voir souvent, et si les nazis avaient gagné la Seconde Guerre mondiale? Cette hypothèse a donné naissance à de très bons romans (Le Maître du Haut-Chateau de l'innénarable Philip K. Dick et Fatherland de Robert Harris) mais saviez-vous que Autant en emporte le vent était aussi une uchronie, dans laquelle les Confédérés ont remporté la Guerre de Sécession. On peut considérer que la première œuvre uchronique est un essai basé sur ce même postulat de départ, écrit par un certain... Winston Churchill (qui savait comment passer le temps) et sobrement intitulé Si Lee avait gagné la bataille de Gettysburg, publié en 1931. L'uchronie fait donc partie intégrante de notre culture populaire qu'il s'agisse de livres, films, comics ou jeux vidéos on en trouve partout et à toutes les sauces, il faut dire que c'est quand même exaltant d'imaginer des univers alternatifs n'est ce pas?


Bon, maintenant que les choses sont posées entrons dans le vif du sujet. Le livre n'est pas à proprement parler un roman mais plutôt un recueil de nouvelles qui se suivent dans l'ordre chronologique. Chaque chapitre suivant des personnages différents à des époques différentes (même si pas mal d'entre eux évoluent dans un Far West fantastique). On commence avec l'arrivée des vampires sur la côte ouest à bord d'un navire en 1691 pour finir en 1917, avec l'entrée en guerre des USA en Europe et des vampires qui font le chemin inverse, toujours en bateau (la boucle est bouclée). Entre temps on aura tout traversé, le procès des sorcières de Salem, la Guerre d'Indépendance, la Conquête de l'Ouest avec pour fil rouge le Convoi. Car les vampires, nommés Brookes pour des raisons assez sympas, ne se contentent pas de débarquer et de terroriser les populations, ils agissent comme tous les colons qui ont foulé le sol de l'Amérique, ils voyagent essaient de trouver leur place dans ce vaste pays en pleine construction. Sur leur route, ils croiseront des légendes de l'Ouest (Billy the Kid, les Dalton...) et personnages historiques (Mark Twain, Lincoln, Sarah Winchester) et leur présence change la donne. Ainsi beaucoup de choses sont chamboulées mais hors de question de vous spoiler!


On trouve seize nouvelles en tout, chacune ayant une atmosphère qui lui est propre. Les tonalités sont variées (horreur, aventure...) et donnent un vrai rythme au recueil, un vrai souffle aussi lorsque les choses prennent de l'ampleur. Parler de chacune d'entre elles serait rébarbatif mais il convient de saluer les deux premiers chapitres (Nouveau Monde et Le Jour du Jugement) et d'autres, par-ci par-là (Nuit de Sang, La veuve noire). Le principal point faible du livre reste pour moi Wounded Knee, qui traite du massacre s'étant déroulé dans le lieu du même nom où l'aspect uchronique est quasi absent. Même si elle est fort bien écrite et raconte un des pans les plus sinistres de l'histoire américaine, elle aurait très bien pu être utilisée dans un autre cadre, cela lui aurait sans doute conféré plus de puissance...

Hormis ce petit détail, et bien c'est du tout bon, le postulat de départ est original, la façon dont il est géré et mené au bout montre une grande maîtrise et bien que le livre ait été écrit à quatre mains, la sensation de cohérence est très forte. Une uchronie qui tire son épingle du jeu en évitant certains poncifs et en faisant preuve d'une vraie érudition, chapeau!