lundi 10 novembre 2014

Boardwalk Empire


Titre original: Boardwalk Empire the birth, high times and corruption of Atlantic City
Auteur: Nelson Johnson
Maison d'édition française: Florent Massot
Date de publication: 2002 aux USA et 2011 en France
Nombre de pages: 302
L'histoire du lieu de perdition maritime le plus célèbre des Etats-Unis au travers des hommes qui l'ont bâti...

Nelson Johnson est un avocat et écrivain américain. Il a toujours vécu dans le comté d'Atlantic et s'est beaucoup investi dans l'urbanisme de la ville durant la période de construction massive de casinos. Il a toujours voulu comprendre ce qui faisait de ce bout de côte un endroit unique pour en faire une histoire politique objective.

Boardwalk Empire...un nom que l'on associe généralement à l'excellente série HBO crée par Martin Scorcese et produite par Mark Wahlberg. Diffusée à partir de 2010, elle bénéficia d'une excellente réputation, amplement méritée grâce à son formidable casting et sa reconstitution flamboyante des années 20. Prenant place dans l'Atlantic City de la Prohibition, elle nous narre le parcours tortueux de Nucky Thompson, un politicien véreux basculant dans le crime organisé grâce au contexte propice de ces temps troublés. Si vous ne l'avez pas vue, foncez de suite, d'autant qu'elle vient de se terminer en beauté à l'issue d'une splendide cinquième saison. Ce qui est moins connu en revanche, c'est que tout cela est en fait l'adaptation d'un ouvrage historique passionnant, qui a donné son titre à la série.


Boardwalk Empire le livre, donc, est une somme assez riche, basée sur de nombreux entretiens auprès d'habitants et de recherches minutieuses. Fruit de vingt ans de travail, il aborde de nombreuses problématiques et est des plus objectifs, n'hésitant pas à montrer le côté le plus sombre de la métropole océanique... Là où la série ne se focalise que sur certains éléments et périodes précis, le livre embrasse toute l'histoire de la ville et remonte même à avant la fondation officielle de cette dernière. On commence donc par la fin du 18ième siècle, où seul un petit village de pécheurs se tient sur les bords venteux de l'océan. Puis, on se focalise sur l'année 1854, le moment où les habitants arrivent en masse, grâce à une ligne de chemin de fer nouvellement crée. La proximité avec Philadelphie en fait un lieu de villégiature particulièrement attractif pour les ouvriers de la Cité de l'Amour Fraternel. Très vite, la ville se dote de sa fameuse promenade (la plus grande du monde) et d'une solide industrie hôtelière. Mais très vite, des activité moins respectables se développèrent: prostitution, jeu...Dans un premier temps, ce domaine fut la chasse réservée d'hommes d'influence qui s'adonnaient autant à la politique qu'au racket. Smith Johnson, Lewis P Scott et le congressman John J Gardner veillèrent au grain dans un premier temps. Ils enfantèrent ce que l'auteur nomme, à raison, la machine un système particulièrement lucratif qui favorise leur ascension puis leur mainmise sur les postes à responsabilité. 


Puis vint le Commodore. De son vrai nom Lois Kuehnle, il sera le premier boss de la ville. Sous son règne, qui commence en 1890 et se termine en 1913 à la suite d'un scandale, le parti Républicain signera un pacte avec le diable en se finançant grâce à la fameuse machine. Il sera aussi un véritable visionnaire qui fera de la modeste ville une un cité florissante. Mais il est vite rattrapé par ses manigances et sera convaincu de corruption dans une affaire de conflit d'intérêts qui le poussera à se réfugier en Bavière. 

Louis Kuehnle, dit le Commodore

En son absence, c'est à Nucky Johnson (le fils de Smith) de prendre la relève. Et là on touche au coeur de l'ouvrage et de la série. Il utilisera le contexte particulier de la Prohibtion pour faire d'Atlantic Coty un port d'entrée de l'alcool de contrebande. Il fricotera avec de nombreux gangsters (Lucky Luciano, Al Capone, Meyer Lansky...) et incarnera la corruption tout autant qu'une certaine forme de génie politique. Un personnage ambigu si il en est et qui servi d'inspiration à son équivalent fictionnel nommé Thompson dans la série. 

Enoch ''Nucky'' Johnson

La suite est plus connue, la ville connaîtra quelques soubresauts et fera l'objet de nombreuses enquêtes, pour finalement devenir l'équivalent East Coast de Las Vegas. Dans les années 80, les casinos poussent comme des champignons, tout comme les salles de congrès. La ville conserve son statut sulfureux malgré le temps qui passe et finit par attirer un nouvel homme d'affaire véreux en la personne de Donald Trump...Les points communs avec Végas sont d'ailleurs troublants: toutes sont des lieux artificiels, basés sur le divertissement et bâtis par des figures peu recommandables...

Atlantic City de nos jours

On a donc affaire à un travail remarquable, accessible et immersif qui nous donne l'impression de visiter cette étrange cité, remontant sa légendaire promenade au fil des décennies. La ville est clairement le personnage principal et suivre son évolution au fil des visions de ceux qui se sont succédé à sa tête est assez épique par moments. De nombreuses problématiques sont abordées (crime organisé, politique, racisme...). Le divertissement à tout prix, et sa face cachée nous donnent l'impression de traverser l'histoire de la société américaine dans son ensemble. Un complément indispensable à la série et une lecture fascinante pour qui s'intéresse a l'Histoire américaine.

dimanche 26 octobre 2014

Pas de saison pour l'Enfer

Titre original: Liquor, Guns & Ammo
Auteur: Kent Anderson
Maison d'édition française: 13eme Note
Date de publication:1998 aux USA, 2013 en France
Nombre de pages: 330


Un recueil de textes par un auteur aux multiples vies, qui nous les raconte sous forme d'instantanés.

Kent Anderson fait partie de ces gens dont on peut dire qu'ils ont tout vécu. Né en 1945, il grandira en Caroline du Nord. Il s'engage dans la Marine Marchande à 19 ans, histoire de voir le monde. Pacifique, Méditerranée, il voyage pendant deux avant que la guerre du Vietnam n'éclate. Il s'engage alors dans l'US Army. A 23 ans il est sergent dans les Forces Spéciales. Après un service qui le marquera profondément toute sa vie, il retourne à la vie civile dans un état psychologique instable. Il se reconverti dans la police d'abord à Portland, ensuite à Oakland. Il y passera l'essentiel des années 80. Ensuite, il sera brièvement professeur d'anglais à l'université du Montana, où il suivra un cursus d'écriture. Il publiera son premier roman, Sympathy For The Devil, en 1993 suivi de Chiens de la Nuit en 1998. Tous sont des œuvres autobiographiques décrivant son expérience au Vietnam (considéré comme un des plus grands livres écrits sur le sujet) pour la première et ses années dans les forces de l'ordre pour la seconde. Un troisième, Green Sun, est en cours d'écriture.Il a aussi bossé pour Hollywood en écrivant neuf scénarios de films qui n'ont jamais été tournés (trop noirs et radicaux).


Publié sous le titre Liquor, Guns & Ammo aux Etats-Unis, ce livre est donc un recueil de textes très variés, touchant à plusieurs registres mais qui ont pour principal point commun d'être issus de la vie de leur auteur. La version française a été largement remaniée. Il comportait originalement un scénario de plus de cent pages, intitulé Shank, qui serait difficile à traduire de manière satisfaisante voire lisible pour un public français. Pour compenser, de nombreux inédits (une vingtaine) ont été inclus. Et tant mieux!! C'est presque un autre ouvrage qui nous est proposé. Il faut dire qu'Eric Vieljeux (le patron des éditions 13eme Note) a fait le déplacement sur place pour rencontrer Anderson. Alors, qu'en est-il de cet ouvrage? Et bien c'est une des odyssées littéraire les plus fortes que l'on puisse trouver en libraire, à mon humble avis. Le livre est divisé en trois parties: Totems, Vietnam et Loi et Hors-là-loi. Chacune correspond à des thématiques précises, propres à l'auteur. A ce stade, il convient de préciser que son passage au Vietnam a fait d'Anderson une machine à tuer difficilement contrôlable qui doit lutter constamment contre lui-même. La guerre est le seul prisme à travers lequel il envisage le monde qui l'entoure. L'écriture et la nature sont ses bouées de sauvetage, ses obsessions qui lui permettent de préserver une faible étincelle d'humanité au milieu de l'océan de noirceur dans lequel il se débat...


La première partie se focalise sur le nature writing (un style littéraire typiquement américain qui se focalise sur la nature, le monde animal et les rapports que l'Homme entretien avec ses derniers, comme son nom l'indique). Il sera question de corridas, de combat de coqs, de vie paisible aux côtés des chevaux et de chasse au loup en Mongolie. Les défenseurs de la cause animale seront sûrement scandalisés par la crudité de certains de ces textes mais il faut leur reconnaître un aspect particulièrement viscéral et presque épique. D'autant plus que les réminiscences du Vietnam interviennent de manière abrupte. Mention spéciale au combat de coq, assez hardcore. Mais on peut y voir une lecture intéressante sur la nature de l'Homme, bien moins saine que celle des animaux selon Anderson. La chasse au loup pourrait sembler ultra cruelle (l'auteur y prenant part là où il était plus généralement spectateur) mais on parle de la Mongolie, un pays où les loups sont plus nombreux que les hommes, cette chasse prend une dimension rituelle. Un texte sort du lot en narrant le trajet en voiture d'un Anderson complétement borderline et chargé aux amphèts, effrayant.


La deuxième partie, Vietnam, nous raconte donc son expérience militaire, l'avant, l'après et même certaines conséquences sur la société américaine. On y voit ainsi des articles au sujet d'une convention de mercenaires, d'un rassemblement d'extrême-droite (néo-nazis, Kux Klux Klan...) tout autant que des récits centrés sur la guerre qui donne son nom à cette partie du livre, dont des chutes inexploitées de Sympathy. Il y a une large part d'introspection dans ces petits textes, Anderson interroge son rapport à sa propre expérience tout autant qu'il nous questionne sur notre vision des conflits. Les deux premiers textes sur les mercenaires et les activistes d'outre-droite font particulièrement froid dans le dos (on y voit notamment un gamin de douze ans armé et looké comme le Führer). Encore une fois, on s'en prend plein les dents et les conventions et le politiquement correct au sujet de la guerre sont totalement absents.



Nous voici donc dans le dernier tiers de l'ouvrage: Loi et Hors-là-loi. Là encore, divers écrits. Un article sur le fameux rassemblement annuel des bikers à Sturgis (prétexte pour se rendre au cimetière militaire local), une préface à Trips (un livre sur la drogue...) des textes sur sa vie quotidienne de policier et un témoignage de son travail à Hollywood aux côtés de John Milius (réalisateur de Conan le Barbare, scénariste d'Apocalypse Now et Dirty Harry...). Oui, vous avez bien lu...Bref, encore une fois, de la noirceur et de la brutalité, mais le contexte change, les villes et les studios de cinéma remplacent la jungle et les décors naturels et la menace est domestique, omniprésente. C'est du moins l'impression qui s'en dégage.

John Milius sur le tournage de Conan le Barbare (1982)


Il s'agit d'un ouvrage bien plus dense qu'il n'y paraît de prime abord, ses 330 pages étant particulièrement riches en situations extrêmes et en punchlines surréalistes: ''La mort se baladait dans la maison. Par curiosité, c'est tout'', j'y étais de nouveau [au sujet du Vietnam] et je me devais de ramener des histoires.... On y trouvera une écriture exigeante, au service d'une vision honnête, sincère du monde, quitte à en devenir brutale...Car c'est l'objectif de l'auteur qui se présente ainsi: ''Je ne suis qu'un passager parmi d'autres,à la seule différence que moi j'ai les mots pour l'écrire. C'est mon boulot''. Le côté fragmentaire et instantané des textes nous donne l'impression de fair eun tour dans la tête de l'auteur, ce qui rend le livre encore plus prenant et immersif. Un grand livre sur la monstruosité humaine et comment on doit lutter constamment pour s'en préserver.