Titre original: The Ice Shirt
Auteur: William T. Vollmann
Maison d'édition française: Le Cherche Midi
Date de parution: 1990 aux Etats Unis, 2012 en France
Nombre de pages: 680
Une vaste fresque décrivant la découverte de l'Amérique du Nord
par les Vikings. Entraînées par des rêves leur présentant une
vaste étendue gelée au delà de l'Atlantique, plusieurs générations
poursuivront cette quête onirique qui se muera progressivement en
cauchemar...
William Vollmann est un drôle de bonhomme. Né en 1959 à Los
Angeles, il suit des études littéraires et artistiques avant
d'enchaîner les petits boulots. Il économise pendant un long moment
puis part pour l'Afghanistan en 1982, en pleine invasion soviétique.
Il y partagera le quotidien des mujahidins. Il en fera un livre, publié en 1992 sous le titre
An Afghanistan Picture Show, or, How I
Saved the World. Cette méthode d'investigation approfondie sera
caractéristique de son travail très immersif. A son retour, il
tente de reprendre ses études à Berkeley mais n'y reste qu'un an et
se met à bosser comme technicien informatique sans avoir la moindre
expérience des ordinateurs. En parallèle, il se met à écrire en
se cachant dans les bureaux et se nourrissant de ce que les distributeurs automatiques
lui fournissent dans les bureaux (autant dire que c'est la grosse
dèche). De cette sale période émergera son premier roman
You
Bright and Risen Angels, publié
en 1987
. Sa carrière
est lancée et il écrit dès lors massivement pour la presse
(
Harper's Magazine, Playboy, Spin Magazine, Esquire, The New
Yorker...). Son œuvre se partagera alors entre fiction et reportages
avec une forte importance de ses voyages dans son matériaux de
travail. Il est notamment fasciné par la question de la prostitution
à qui il consacrera trois ouvrages. Il publiera l'énorme
Livre
de la Violence en 2004, une œuvre absolument dantesque s'étalant
sur plus de 3000 pages et contenant toutes les obsessions et
réflexions de l'homme sur ce vaste sujet. Mais ce qui nous occupe
ici, c'est son plus grand travail, à ce jour inachevé:
Seven
Dreams: A Book of North American Landscapes. Un
cycle de sept livres se déroulant à des moments clés (quoique bien
souvent méconnus ou négligés) de l'Histoire américaine, dressant
un portrait brutal d'un continent plein de violence et de sauvagerie.
Pour se faire, il se crée un alter ego, William l'Aveugle (oui,
comme Homère).Pour l'instant seuls quatre sont publiés:
Fathers and Crows (1992), sur les missions jésuites au
Canada,
Les Fusils (1994), sur l'exploration du passage du
Nord-Ouest,
Argall (2001), sur Jamestown et la légende
de Pocahontas et bien sûr
La Tunique de Glace.
La Tunique de Glace en est le
premier tome. Publié en 1990 aux Etats-Unis et en 2012 en France
(qui a dit retard de la mort qui tue?) ce livre est une véritable
tuerie difficile à classer ou définir. Le terme de roman historique
a beau lui être souvent attribué, il est réducteur et inexact. Le
livre est à cheval entre plusieurs genres, plusieurs tons. Si il
puise ses sources dans d'importantes recherches documentaires, la
mythologie n'est pas écartée, elle est même au cœur de
l'intrigue. Vollmann nous livre un univers où les dieux nordiques et
Inuits
existent et
jouent un rôle prépondérant dans la trajectoires d'une succession
de héros tantôt historiques ( Harald à la Belle Chevelure,
Erik le Rouge et sa descendance...) tantôt légendaires. Il lie entre
eux des tonnes de textes et de sagas, les Eddas étant une source
importante. Et, comme à son habitude, s'est rendu sur les lieux de
l'intrigue pour apporter un plus non négligeable. Le
résumer est une gageure tant il est dense, riche et long (il
comporte des annexes avec une chronologie et des glossaires, c'est
dire la richesse du truc). C'est comme si Tolkien, Sam Peckinpah et Wagner s'étaient rencontrés dans une soirée libertine et avaient
accouché d'un livre. L'intrigue y est dure et puise dans
les origines légendaires des royaumes vikings avec la lignée des
Ynglingar (des rois métamorphes se transformant en ours) jusqu'à
Freydis Eyriksdottir (la fille d'Erik le Rouge, donc) avec de
nombreux détours géographiques; qui nous font aller de la Norvège au Canada en passant par l'Islande; et temporels (du Moyen Age à nos jours) qui nous font découvrir
les cultures indigènes du Groenland et de l'Amérique arctique. Il
en émane un sentiment de primitivité, de brutalité primordiale.
Les descriptions sont impressionnantes de puissance évocatrice,
biblique même. On en prend plein la tronche et rien ne nous est
épargné, le livre est viscéral à mort et nous laisse parfois
pantelants devant une telle force de frappe. On peut difficilement
lâcher cet ouvrage pourtant si étrange, plein de citations, de
notes de bas de pages et d'autres éléments bibliographiques qui
nous montrent à quel point son auteur s'est investi dans son
écriture. On y voit des dessins, des cartes, des portraits de
personnages, de la main de l'auteur, aux traits noirs comme le charbons, qui renforcent les
sentiments suscités par la lecture des textes. Le titre vient de
tout un imagerie de la tunique comme métaphore des capacités et ds
pouvoirs que l'homme peut obtenir dans cet univers crépusculaire.
Vollmann réussit l'exploit de créer
un texte qui a tout d'une œuvre fondatrice, d'un récit mythique
alors que ces temps sont révolus depuis longtemps. Il questionne notre rapport à l'Histoire et à la réalité. En
endossant la tunique de William l'Aveugle, il reprend l'héritage de
multiples conteurs qui ont nourri notre imaginaire et notre vision du
monde. Il se pose comme un chroniqueur dont l'aveuglement serait une
force qui lui permet de s'aventurer là où personne ne va, car c'est
bien là toute l'ambition du bonhomme, explorer des territoires
dangereux et effrayants pour nous en ramener quelques fragments.
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